L’APPEL DE LA SIRÈNE
Il y a très très longtemps, à l’époque où coulaient des rivières aux eaux claires, bordant des mers limpides, on dit qu’il arriva une étrange histoire.
En ce temps-là, les marins découvraient le monde et il était beau et mystérieux. Un jour, une frégate se présenta à l’entrée d’un grand fleuve. Le soir, alors qu’elle était à l’ancre, un matelot veillait à la proue. Dans l’obscurité, il distingua une tache claire, au loin. À coup sûr, il reconnut une forme féminine qui se laissait paresseusement rouler par les courants. De temps à autre, il distinguait son ventre délicatement rond, de longs bras et sa chevelure comme une cape sombre qui lui cachait la poitrine. Lorsqu’au clair de lune, il aperçut le reflet argenté d’une longue queue couverte d’écailles, il comprit qu’il avait affaire à une sirène. Toute la nuit, il la vit tourner et retourner au loin, sans doute effrayée par le navire. Désespérément, il tenta de l’attirer, sans résultat. Parfois, il croyait entendre des plaintes ou des rires qui finirent par lui enflammer l’imagination.
Seul, sur le pont, il se mit à lui parler à son tour, lui chanter des comptines, doucement pour ne pas réveiller le reste de l’équipage. Peu à peu, alors que la Lune tournait dans le ciel, son discours se fit plus fiévreux, plus emporté. Oui, la sirène l’avait envoûté, il en était tombé amoureux. Elle semblait si belle, si libre, qu’il se mit à rêver de la rejoindre. Alors elle l’entraînerait vers le large et ils vivraient ainsi entre mer et ciel, tous les deux… Il était sur le point de se laisser glisser dans l’eau quand la cloche du quart retentit et la relève apparut sur le pont.
Il n’osa jamais parler de cette histoire, les autres marins se seraient moqués de lui. Mais chaque nuit, il se portait volontaire pour faire le guet et tenter de revoir sa sirène.
Il ne la revit jamais.
Des années plus tard, son navire fit escale à proximité de l’endroit où il avait eu sa vision. En discutant avec les autochtones, ils lui apprirent qu’il y avait un animal marin rare et farouche qu’on appelait dugong, « la dame de la mer » à cause de ses formes arrondies, généreuses et son tempérament timide. Fou de joie, il demanda à être emmené là où il y avait des dugongs, mais il ne reconnut pas sa sirène dans la grosse bête placide broutant les praires marines.
En souvenir de son amour de jeunesse, il décida néanmoins de se consacrer à la protection du dugong que les hommes chassaient pour sa viande. Les paisibles mammifères marins le consolaient. Il passait des heures dans l’eau à regarder leurs gros corps se mouvoir avec grâce. Il arrivait parfois, la nuit, qu’en apercevant l’animal faire surface et siffler doucement, il se souvînt de son unique rencontre avec la sirène et il se sentait à nouveau heureux.
S’il avait sauté à l’eau plus tôt la fameuse nuit, s’il l’avait rejointe, l’aurait-elle aimé ? Serait-il aujourd’hui dans ses bras entre ciel et mer ?
De temps à autre, il entendait parler de quelqu’un qui en aurait aperçu et il accourait plein d’espoir. Mais ce n’était que racontars, visions erronées, ou marins enivrés.
Bien des années plus tard, quand il mourut, les villageois, selon son souhait, immergèrent son corps en mer pour qu’il rejoigne à tout jamais son seul amour.
Peu à peu, la chasse fit des ravages, les eaux se chargèrent en polluants, les prairies marines disparurent et les dugongs aussi.
Il ne resta que la légende de l’homme qui avait vu une sirène, ou peut-être un dugong.
Seule la mer le sait.
En ce temps-là, les marins découvraient le monde et il était beau et mystérieux. Un jour, une frégate se présenta à l’entrée d’un grand fleuve. Le soir, alors qu’elle était à l’ancre, un matelot veillait à la proue. Dans l’obscurité, il distingua une tache claire, au loin. À coup sûr, il reconnut une forme féminine qui se laissait paresseusement rouler par les courants. De temps à autre, il distinguait son ventre délicatement rond, de longs bras et sa chevelure comme une cape sombre qui lui cachait la poitrine. Lorsqu’au clair de lune, il aperçut le reflet argenté d’une longue queue couverte d’écailles, il comprit qu’il avait affaire à une sirène. Toute la nuit, il la vit tourner et retourner au loin, sans doute effrayée par le navire. Désespérément, il tenta de l’attirer, sans résultat. Parfois, il croyait entendre des plaintes ou des rires qui finirent par lui enflammer l’imagination.
Seul, sur le pont, il se mit à lui parler à son tour, lui chanter des comptines, doucement pour ne pas réveiller le reste de l’équipage. Peu à peu, alors que la Lune tournait dans le ciel, son discours se fit plus fiévreux, plus emporté. Oui, la sirène l’avait envoûté, il en était tombé amoureux. Elle semblait si belle, si libre, qu’il se mit à rêver de la rejoindre. Alors elle l’entraînerait vers le large et ils vivraient ainsi entre mer et ciel, tous les deux… Il était sur le point de se laisser glisser dans l’eau quand la cloche du quart retentit et la relève apparut sur le pont.
Il n’osa jamais parler de cette histoire, les autres marins se seraient moqués de lui. Mais chaque nuit, il se portait volontaire pour faire le guet et tenter de revoir sa sirène.
Il ne la revit jamais.
Des années plus tard, son navire fit escale à proximité de l’endroit où il avait eu sa vision. En discutant avec les autochtones, ils lui apprirent qu’il y avait un animal marin rare et farouche qu’on appelait dugong, « la dame de la mer » à cause de ses formes arrondies, généreuses et son tempérament timide. Fou de joie, il demanda à être emmené là où il y avait des dugongs, mais il ne reconnut pas sa sirène dans la grosse bête placide broutant les praires marines.
En souvenir de son amour de jeunesse, il décida néanmoins de se consacrer à la protection du dugong que les hommes chassaient pour sa viande. Les paisibles mammifères marins le consolaient. Il passait des heures dans l’eau à regarder leurs gros corps se mouvoir avec grâce. Il arrivait parfois, la nuit, qu’en apercevant l’animal faire surface et siffler doucement, il se souvînt de son unique rencontre avec la sirène et il se sentait à nouveau heureux.
S’il avait sauté à l’eau plus tôt la fameuse nuit, s’il l’avait rejointe, l’aurait-elle aimé ? Serait-il aujourd’hui dans ses bras entre ciel et mer ?
De temps à autre, il entendait parler de quelqu’un qui en aurait aperçu et il accourait plein d’espoir. Mais ce n’était que racontars, visions erronées, ou marins enivrés.
Bien des années plus tard, quand il mourut, les villageois, selon son souhait, immergèrent son corps en mer pour qu’il rejoigne à tout jamais son seul amour.
Peu à peu, la chasse fit des ravages, les eaux se chargèrent en polluants, les prairies marines disparurent et les dugongs aussi.
Il ne resta que la légende de l’homme qui avait vu une sirène, ou peut-être un dugong.
Seule la mer le sait.