LE CHARMANT HERISSON
Hebert s’était dépêché de partir du bureau. Depuis cinq jours, il n’avait pas sorti son berger malinois qui devenait fou dans le deux pièces. Pendant les courtes journées d’hiver, avec ces foutus hérissons, tout était devenu compliqué. Il était près de 17 heures quand il avait ouvert la porte de l’appartement et Médor s’était précipité vers la laisse. Hebert n’avait pas eu le cœur de le décevoir.
– OK Médor, mais pas longtemps, sinon tu vas te faire croquer, tu le sais !
Avant de pousser le portail sur la rue, il avait écouté pendant plusieurs minutes. Aucun grognement ou feulement suspect, il devait avoir une bonne demi-heure avant que les hérissons ne se réveillent et ne commencent à sillonner la ville.
Médor en laisse, ils avaient couru vers le parc. Mais à peine avait-il libéré le chien que celui-ci avait filé toutes oreilles dehors vers le petit bois.
-Imbécile ! Reste avec moi ! Si on rentre trop tard, un hérisson va te manger !
La situation devenait intolérable. Cela faisait bien longtemps que les hérissons naturels n’existaient plus. Pour leur malheur, quelque part, quelqu’un avait considéré que leurs piquants réduits en poudre étaient de puissants anticancéreux. En mois de 10 ans, le braconnage avait ravagé les populations. Hérissons européens, asiatiques, oreillards ou dauriens, il n’en restait pas un. Les derniers s’étaient vendus au marché noir plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Les agriculteurs réclamaient cet efficace mangeur de limaces et d’escargots et le grand public s’était désolé de la disparition de cette frimousse timide. Le génie génétique avait été appelé à la rescousse. Les savants avaient, à juste raison, tablé sur leur fort taux de reproduction pour repeupler la planète. Ce qu’ils n’avaient pas prévu était que l’hybride créé s’était mis à grandir de façon inconsidérée, atteignant rapidement les deux mètres. D’un petit mammifère inoffensif, il s’était mué en un carnivore redoutable. Répandus trop tôt dans la nature, ils avaient d’abord fait un carnage parmi les oiseaux et les rongeurs. Puis les campagnes dévastées s’étaient attaqués aux chiens et chats des villes. L’animal résistait aux poisons et se révélait, au cœur de ses immenses piquants, difficile à tirer. Pas un jour ne passait, même, sans que l’on rapporte que des enfants avaient été attaqués. Dans ce contexte, garder un chien relevait de l’exploit !
Le jour grisonnait quand Hebert et Médor, enfin rattrapé, tournèrent au coin du parc en courant. Il s’en fallu de peu qu’ils ne soient tranquilles, mais à deux rues de l’appartement, Hebert entendit le grognement fatidique. Un gros mâle hérisson de près de 2,50 mètres fouillait un caniveau en soulevant les véhicules dans sa quête. Il leva son groin, frémit des narines et se précipita sur eux. En posture d’attaque, les piquants dressés, il prenait la moitié de la rue, mais cela ne l’empêchait pas d’être agile. Le chien se mit à trembler si fort qu’il ne pouvait plus avancer. Hebert tenta de le prendre dans ses bras, mais le poids du malinois l’empêchait de courir. Les feulements se rapprochèrent et quand il se retourna, il failli défaillir devant les yeux mauvais qui se dardaient sur lui. Il n’avait pas d’autres alternatives que de sacrifier son compagnon.
-Mon pauvre Milou ! Fut les dernières paroles qu’entendit le chien avant que les mâchoires puissantes ne fassent craquer sa carcasse.
Hebert, hors d’haleine, atteignit le portail, trembla en cherchant ses clés et s’effondra dans le patio en pleurant. Le soir, il contempla longuement les photos du charmant hérisson que son arrière-grand-père avait un jour trouvé dans le jardin.
-Mais comment les hommes avaient-ils pu être aussi stupides ?